关于达武与拿破仑的关系,John G. Gallaher写过一篇论文,只在网上找到了法语译文:
Les relations entre Davout et Napoléon
Par John G. Gallaher
Cet article a été publié sous le titre "Davout and Napoleon : a study of their personal relationship" dans le "Journal of the International Napoleonic Society" (avril 1997) par John G. Gallaher, professeur à la Southern Illinois University d’Edwardsville et membre du "Souvenir du Maréchal Davout". Il a été traduit de l’anglais par nos soins.
Davout et Napoléon- Une étude de leurs relations personnelles
Le 28 mars 1798, le général de brigade Louis Nicolas Davout accompagnait son bon ami le général Louis Desaix de Veygoux rue de la Victoire où, pour la première fois, il allait rencontrer le général Napoléon Bonaparte. Le conquérant de l’Italie se préparait pour la campagne d’Egypte et était à la recherche de bons officiers. Cependant, ce Bourguignon de 28 ans ne lui fit pas une très bonne première impression. Mais, étant assuré par Desaix, pour lequel Bonaparte avait récemment acquis une haute estime, que Davout était un officier fiable et capable, son nom fut ajouté à la liste de ceux qui prendraient part à l’expédition.
Davout était le descendant d’un famille noble dont on pouvait retracer les origines jusqu’au XIIIe siècle. La tradition militaire de la famille était si forte que toute la Bourgogne connaissait le dicton « Quand naît un d’Avot, une épée sort du fourro ». Le jeune Louis fut d’abord instruit au Collège militaire d’Auxerre, puis à l’Ecole militaire de Paris. En 1788, il entra au service du Roi comme second lieutenant et embrassa, l’année suivante, de nombreuses idées de la Révolution. En 1790, Davout passa six semaines en prison pour ses activités politiques et il dût alors démissionner de l’armée. L’année suivante, il s’engagea comme volontaire au bataillon du département de l’Yonne et, en raison de son expérience militaire, fut élu lieutenant-colonel. Il avait seulement 22 ans. Servant au sein des armées françaises en Belgique et en Allemagne pendant les premières années des guerres révolutionnaires, il atteint le grade de général de brigade. Sa progression militaire était remarquable pour un si jeune officier, mais pas vraiment exceptionnelle.
La campagne d’Egypte procura pour la première fois à Bonaparte l’opportunité d’observer Davout qui fut d’abord placé sous l’autorité directe du général Alexandre Dumas, commandant la cavalerie de l’expédition. A la fin de l’année 1798, il fût envoyé vers le Nil avec un détachement de cavalerie pour rejoindre la division Desaix en Haute Egypte. Plus tard, il reçut le commandement d’un district militaire au sud du Caire. Le 10 octobre 1798, Bonaparte donna sa première preuve de satisfaction à l’égard de Davout : « Le commandement général, écrit-il, souhaite donner au général de brigade Davout un témoignage de satisfaction du gouvernement pour les services qu’il a rendus aux armées de la République ». En dépit de ce modeste éloge, quand Bonaparte retourne en France à la fin de l’été 1799, Davout n’est pas parmi les officiers choisis pour l’accompagner. En outre, lorsque Davout et Desaix reviennent d’Egypte l’année suivante, Davout est rappelé à Paris pour y attendre une affectation alors que Desaix est invité à rejoindre l’armée d’Italie où il trouvera la mort à la bataille de Marengo.
Davout était incertain de l’accueil que lui réserverait le Premier Consul puisqu’il ne l’avait pas convaincu pendant la campagne d’Egypte. Le général Andoche Junot, proche ami de Davout à cette période, a dit à sa femme que « le Premier Consul n’aimait pas Davoust (sic) parce qu’il l’associait à tous ceux qui, en Egypte, montraient de l’hostilité à Bonaparte Je ne sais pas si Davoust doit être classé parmi les adversaires du Premier Consul ; mais il est certain qu’il lui a inspiré une extrême antipathie. J’en suis désolé, d’autant plus que Davoust est un ami et un homme intelligent ». A cela, Madame Junot, qui admettait elle-même ne pas aimer Davout, ajouta sa propre opinion : « Cette inimitié, écrit-elle dans ses Mémoires, qu’ont pu constater tous ceux qui étaient avec Bonaparte en Egypte, a une seule origine. Cela tient à la malpropreté de Davoust qui, en passant, était à cette époque l’homme le plus sale et le plus mal fagoté qu’on puisse imaginer ; un défaut qui répugnait à Napoléon, qui était lui-même toujours particulièrement propre et soigné ».
Un autre des détracteurs de Davout, le général Louis-Antoine Bourrienne, par certains côtés plus fiable que Madame Junot, a également témoigné de l’inimitié de Bonaparte pour Davout en Egypte : « Comment pouviez vous rester si longtemps en compagnie d’un homme (Davout) que vous avez toujours qualifié de « foutue bête » ? » a demandé Bourrienne au Premier Consul. « Mais je ne le connaissais pas bien (a répondu Bonaparte), il vaut beaucoup mieux que sa réputation, vous la surmonterez aussi ».
En vérité, c’est après la campagne d’Egypte, pendant le Consulat, que Bonaparte apprit à apprécier Davout. Peu à peu, il vînt à reconnaître ses talents militaires et administratifs et à prendre conscience de sa loyauté. La compétence et la fidélité étaient rares à trouver en une seule personne et le Premier Consul profita bien que ces deux qualités qu’il perçut chez Davout. En juillet 1800, Bonaparte le nomma général de division et l’envoya en Italie commander la cavalerie pendant la dernière phase de la guerre contre l’Autriche (1800-1801). Davout reçut ensuite un commandement dans la Garde des Consuls. En 1803, il assura le commandement du camp de Bruges puis du 3ème corps de la Grande Armée pendant la campagne d’Ulm et d’Austerlitz de 1805. Mais la plus grande marque de reconnaissance vint le 19 mai 1804, lorsque Davout fut nommé parmi les premiers maréchaux du nouvel Empire.
L’élévation de Davout à la dignité de maréchal d’Empire, qui est toujours sujette à spéculations et débats, résulta de plusieurs facteurs. Son attachement personnel à Napoléon fut certainement une raison essentielle. Ses capacités militaires et administratives furent sans aucun doute prises également en considération. Mais cela n’aurait probablement pas suffi. Après tout, il n’était qu’un général de brigade inconnu lors de son retour d’Egypte en 1800 ; et même en 1804, Davout n’avait jamais commandé une division au combat. Mais, en 1801, il avait épousé Aimée Leclerc, la sœur de Charles Leclerc lequel était marié à Pauline, sœur de Napoléon. De cette manière, il avait intégré la famille Bonaparte au sens large. Si Charles Leclerc n’était pas mort de la fièvre jaune sur l’île de Saint-Domingue en 1802 à la tête d’une expédition contre les insurgés, il aurait sûrement été nommé maréchal. Il est possible que Davout ait reçu le bâton qui était destiné à son beau-frère. Cela n’est certes que supposition, mais ce qui est certain, en revanche, c’est que Madame Davout ne pardonna jamais à Napoléon la mort de son frère.
Il y a aussi la possibilité, mais ce n’est là aussi qu’une hypothèse, que Davout ait reçu le bâton destiné au général Desaix si celui-ci n’était pas mort des blessures reçues à la bataille de Marengo. Desaix était, après tout, le meilleur ami de Davout et l’homme qui l’avait présenté à Bonaparte et soutenu pendant la campagne d’Egypte.
Lorsqu’on a mis de côté toutes ces spéculations, il demeure que Davout s’est fortement attaché à Bonaparte pendant le Consulat. Pour assurer le destin de la France, il a rejoint le Premier Consul avant de devenir, pendant l’Empire, l’un des ses plus fidèles partisans. A ses yeux, Napoléon était l’homme qui sauvait à la fois la Révolution et la France. Il convient de noter que les partisans de Napoléon ont considéré la nomination de Davout au maréchalat, et son affectation au commandement du 3ème corps de la Grande Armée avant même qu’il ne donne la preuve de ses aptitudes à Austerlitz et Auerstädt, comme la preuve que l’Empereur était un excellent juge du caractère et des capacités des hommes.
Davout parvint rapidement à justifier la confiance placée en lui par Napoléon, ainsi que les honneurs et la fortune qui lui furent accordés. Au cours des principales campagnes de l’Empire, il s’est révélé comme le plus capable des généraux de l’armée. A Austerlitz, il résista au plus fort assaut russe sur l’aile droite, jouant ainsi un rôle essentiel dans la victoire de l’Empereur ; à Auerstädt, il vainquit le gros de l’armée prussienne qui était deux fois plus puissant que son seul 3ème corps ; à Eylau, il arriva à temps sur le champ de bataille pour éviter une déroute française ; à Eckmühl, il contînt l’armée autrichienne jusqu’à l’arrivée de Napoléon et prit ensuite part à la défaite de l’ennemi. ; et à Wagram, il tourna la gauche autrichienne et la mit en fuite. Comme administrateur, il prouva également ses talents dans le Duché de Varsovie (1807-1809), en Allemagne (1810-1812), à Hambourg (1813-1814), et comme Ministre de la Guerre pendant les Cents-Jours. Il fut aussi l’un des principaux organisateurs de l’armée qui envahit la Russie en 1812 et de l’armée que Napoléon emmena en Belgique en 1815. Son corps d’armée était toujours l’un des mieux entraînés, des plus disciplinés et des mieux approvisionnés sur le terrain. Le général Armand-Augustin Caulaincourt, après avoir vu les hommes de Davout franchir le Niemen en 1812, a écrit d’eux : « Les hommes du 1er corps (celui de Davout) étaient remarquables par leur excellent comportement et leur tenue exemplaire. Sortant de leurs bons cantonnements, aguerris aux ordres d’un commandant qui les avait entraînés longtemps et efficacement, ils pouvaient rivaliser avec la Garde ».
Des services tels que ceux rendus par Davout ne pouvaient pas rester ignorés. Napoléon lui accorda titres, honneurs et fortune. En 1807, Davout fut fait duc d’Auerstädt en reconnaissance de la victoire de son corps d’armée de 26.000 hommes face à 66.000 Prussiens. Deux ans plus tard, il fut fait prince d’Eckmühl pour son rôle clé dans la défaite de l’armée autrichienne d’avril 1809. Il reçut des mains de l’Empereur plus de 900.000 francs, en plus de sa solde, ce qui le place en seconde position derrière ce qu’a pu recevoir le maréchal Alexandre Berthier. On prétend que Napoléon aurait dit : « Il faut bien que je donne à Davout, puisqu’il ne prend rien pour lui ». L’Empereur lui donna aussi des terres en Pologne dont il retira des bénéfices importants jusqu’à 1813. Ceci et bien d’autres honneurs, comme le Grand-Aigle de la Légion d’honneur, atteste clairement que les relations amicales entre Napoléon et Davout étaient réciproques et qu’elles profitaient aux deux hommes.
La première indication de l’altération de ces relations entre Napoléon et Davout intervient peut être au sujet du destin de la Pologne. Davout, qui était en effet gouverneur militaire du Grand Duché de Varsovie depuis sa création à l’été 1807 jusqu’au printemps 1809, était un partisan enthousiaste de l’indépendance de la Pologne. Chaque fois que l’occasion se présentait, il rappelait à l’Empereur, en ayant la Pologne à l’esprit, que « un allié a plus de valeur qu’un esclave ». Napoléon, qui fut toujours opposé au vœu d’indépendance des Polonais, ne prit jamais aucune mesure pour satisfaire leurs aspirations. En 1811, on supposa à Paris, de manière pas forcément injustifiée, que les idées pro-polonaises de Davout relevaient d’un intérêt personnel. Si un royaume de Pologne indépendant était créé, il fallait un roi, et Davout était disponible. La talentueuse fille de Davout, la marquise de Blocqueville, raconte que Napoléon a dit une fois à son père : « Eh bien , Davout, on prétend que vous débordez d’ambition et que vous essayez de devenir roi de ce pays (la Pologne) ». Bien qu’elle nia cette ambition de son père, rares sont ceux qui pensent comme elle que Davout n’eût aucun intérêt pour l’éventuel trône. Selon Raymond Jacques de Narbonne, Napoléon lui déclara une fois que Davout considérait la Pologne comme son affaire personnelle et que ce type d’égotisme était particulièrement déplaisant.
Il y eut cependant une compétition pour ce trône qui n’exista jamais. Jérôme Bonaparte, même s’il était déjà roi de Westphalie, se considérait comme le candidat de l’Empire ; tandis que Joachim Murat, roi de Naples et beau-frère de l’Empereur, aurait apprécié monter sur le trône de Pologne, tout comme Joseph Bonaparte qui avait quitté le Royaume de Naples pour devenir roi d’Espagne en 1808. Enfin, il y avait le prince Joseph Poniatowski qui se prévalait d’être l’héritier légitime du trône. Quoiqu’il en soit, Bourrienne, dans ses Mémoires, prétend que Davout lui aurait assuré, en 1811, que Napoléon lui avait promis le Royaume de Pologne. Malgré tous les efforts de la marquise de Blocqueville pour nier l’intérêt de son père pour le trône de Pologne, il ne fait guère de doute que Davout eut cette ambition royale. Après tout, n’eut-il pas l’exemple d’hommes bien moins capables que lui : les trois frères de Napoléon, Joseph, Louis et Jérôme, ainsi que Murat et Jean Baptiste Bernadotte, ce dernier étant devenu héritier du trône de Suède ? Napoléon, s’il n’a pas réellement encouragé Davout dans ses aspirations, n’a certainement rien fait pour le dissuader. L’Empereur semblait inciter ses subordonnés, même sans rien dire, à courir après les trônes et les bâtons de maréchal.
Davout, qui était peut-être l’un des maréchaux les plus impopulaires parmi ses pairs, semblait avoir un talent tout particulier pour se faire des ennemis parmi les hauts dignitaires. En 1809, il s’attira l’hostilité durable du maréchal Berthier, le meilleur des chefs d’état-major de Napoléon et un homme qui avait l’oreille de l’Empereur. Cette année là, la campagne s’ouvrit presque sur un désastre pour Davout et son 3ème corps en raison de la mauvaise interprétation par Berthier des ordres de Napoléon. Même si Davout parvint à rétablir la situation, il critiqua Berthier, ce que ce dernier n’oublia et ne pardonna jamais.
Pendant les premiers mois de la campagne de Russie, Davout se fit deux rois pour ennemis ; le frère de Napoléon, Jérôme, et son beau-frère, Murat. Ces deux hommes, qui avaient facilement accès à l’Empereur, entamèrent la confiance qu’avait Napoléon en son maréchal. L’enthousiasme de Davout pour la campagne de 1812 fut interprété par l’Empereur comme une émanation de son obsession à vouloir monter sur le trône de Pologne. Ses actions énergiques furent considérées comme des recherches de gloire personnelle. Louis Philippe de Ségur, qui était présent au quartier-général impérial juste avant le commencement de la campagne, raconta l’attaque suivante contre Davout : « Le maréchal, disaient-ils, veut avoir tout prévu, tout ordonné, tout exécuté. L’Empereur n’est-il donc que le témoin de cette expédition ? La gloire en doit elle être à Davoust (sic) ? En effet, s’écria l’Empereur, il semble que ce soit lui qui commande l’armée ». Les ennemis de Davout ne s’arrêtèrent pas en si bon chemin. Après avoir réalisé qu’ils avaient l’attention de l’Empereur, ils lancèrent une attaque de grande ampleur contre le maréchal absent. « N’était-ce pas Davoust, poursuivirent-ils, qui, après la victoire de Iéna, avait attiré l’Empereur en Pologne ? Lui qui possède déjà de si grands biens dans ce pays, dont l’exacte et sévère probité a conquis les Polonais, et qu’on accuse d’espérer leur trône ».
Il y avait juste assez de vérités dans ces paroles, en dépit de leur exagération, de leur imprécision et de leur outrancière simplicité, pour semer le doute dans l’esprit de l’Empereur. On ne peut pas être certain, comme le prétendent les apologistes de Davout (Blocqueville, Vigier, Joly et Chénier), que ce sont la fierté et l’égoïsme de Napoléon qui conduisirent à la brouille entre le maréchal et lui. Il n’existe en revanche aucun doute sur la jalousie de Napoléon concernant la réputation militaire et la gloire dont dépendait sa suprématie sur la France et sur l’Europe. Sa répugnance à partager avec Davout les mérites de la conquête de la Prusse en 1806, même s’il lui a finalement donné le titre de duc d’Auerstädt, son refus de gratifier Jean de Dieu Soult du titre de duc d’Austerlitz, même s’il lui donna celui de duc de Dalmatie, et la manière avec laquelle il s’attribua le succès de la bataille de Marengo, n’en sont que quelques exemples. La conquête de la Russie devait être son plus grand triomphe militaire. Davout était certes un commandant de corps d’armée, certes l’un de ses meilleurs, mais, néanmoins, il n’était simplement qu’un des nombreux rouages de SA machine de guerre. L’Empereur avait besoin de bons généraux, mais il ne pouvait pas tolérer de rivaux dans son propre camp. Ainsi, au commencement de la campagne de Russie, les relations entre Napoléon et Davout avaient déjà commencé à se détériorer. Ensuite, la conjugaison des querelles entre Davout et Jérôme et Murat d’une part, et l’échec désastreux de la campagne d’autre part, conduisit à une cassure encore plus profonde. Dans la première phase de la campagne, à l’été 1812, l’incompétence de Jérôme comme commandant de plusieurs corps d’armée sur le flanc droit du dispositif permit à l’armée russe, commandée par le général Petr Bagration, de s’échapper. Dans une dernière tentative désespérée pour empêcher Bagration de rejoindre le gros de l’armée russe à Smolensk, Davout prit le commandement du corps de Jérôme, conformément à des ordres secrets de Napoléon que Jérôme ne connaissait pas. Les ordres étaient que Davout devait prendre le commandement général du corps de Jérôme et du sien lorsque ces deux forces feraient leur jonction. Mais, comme Bagration s’échappait par la porte que lui laissait ouverte la lenteur de la progression de Jérôme, Davout prit le commandement du corps d’armée de Jérôme prématurément. Lorsque le Roi de Westphalie apprit qu’il devait servir sous les ordres de Davout, un simple prince avec lequel il s’était querellé en Allemagne en 1810-1811, il quitta l’armée et retourna dans son royaume. Napoléon était furieux que les Russes se soient échappés en raison de l’action, ou plutôt du manque d’action, de son jeune frère. Il ne pensait pas non plus que la prise de commandement par Davout du corps de Jérôme avant la jonction effective des deux corps ait été totalement justifiée. « Ecrivez au prince d’Eckmühl, ordonna t-il à Berthier, que je ne suis pas satisfait de sa conduite à l’égard du Roi de Westphalie ; ...(Cependant, puisqu’il a pris le commandement, qu’il le garde, mais il n’avait pas lieu de le prendre puisque il n’avait pas fait jonction avec le Roi) ».
Le conflit entre Davout et Murat provint de la manière insouciante avec laquelle le Roi de Naples conduisait l’avant-garde devant Davout. Murat se plaignait amèrement à son beau-frère, l’Empereur, du manque de soutien de Davout ; à quoi Davout répliquait que le Roi pouvait bien détruire son propre corps d’armée avant même l’engagement contre l’ennemi, mais pas le 1er corps (celui de Davout). Napoléon trancha en faveur de Murat et détacha des unités du corps de Davout pour les placer directement sous les ordres du Roi. Les deux hommes se querellèrent encore après que l’armée eût quitté Moscou. Cette fois, ce fut en présence de l’Empereur à propos de la meilleure route pour retourner à Smolensk. A nouveau, Napoléon trancha en faveur de Murat. Mais ce fut l’affaire Ney qui indiqua le plus clairement le changement d’attitude de Napoléon à l’égard de Davout.
Lorsque le 3ème corps du maréchal Ney, qui formait l’arrière-garde de l’armée en quittant Smolensk vers l’ouest, fut isolé et détruit, on prit Davout comme bouc-émissaire. Son 1er corps qui, conformément aux ordres de l’Empereur, marchait à une journée devant Ney, fut obligé de forcer le passage à travers de fortes positions russes qui barraient la route de Smolensk à Kranoe. Une fois que Davout, qui avait été soutenu dans son échappée par les restes du corps d’Eugène de Beauharnais, fut passé, l’ennemi renforça sa position et attendit le passage de Ney. Il n’y avait aucun espoir de sauver le 3ème corps très affaibli de Ney. Napoléon avait beaucoup étiré ses colonnes et il y avait ainsi trois jours de marche entre l’avant-garde et l’arrière-garde. Dès lors, il n’y avait aucune possibilité de concentrer l’armée française pour forcer un chemin pour Ney. Davout, avec seulement une fraction de ses forces d’origine, ne pouvait pas faire davantage depuis que presque toute l’armée russe était entre lui et Ney.
Quand le corps entier de 6.000 hommes du maréchal Ney fut considéré comme perdu, Napoléon et Berthier blâmèrent Davout de n’être pas revenu sur ses pas pour le sauver. Avec l’Empereur donnant le ton, écrit Caulaincourt, « il est impossible de décrire le déchaînement de rage et de fureur qui s’abattit sur le prince d’Eckmühl, et presque à chaque fois quand il se trouvait en présence de l’Empereur ou quand on se trouvait face à lui ». Ce ne fut que lorsqu’on sut que Ney en avait réchappé avec une petite partie de son corps d’armée que les critiques à l’égard de Davout diminuèrent. Néanmoins, grâce à l’activité de ses ennemis, et particulièrement de Berthier, il demeurait dans un état de semi-disgrâce au quartier-général. Il était bien sûr à la fois bénéfique à Napoléon et à Berthier de rendre Davout responsable de la perte du 3ème corps. L’Empereur était devenu habile dans l’art de blâmer les autres, de manière parfois justifiée, des échecs et des infortunes qui s’abattaient sur l’Empire.
Puis, à l’aube de son départ de son armée perdue, début de décembre 1812, Napoléon reçut Davout avec les autres maréchaux de façon amicale. En fait, il espérait laisser derrière lui un groupe de commandement aussi loyal que possible. Toutefois, il ne fait aucun doute que Davout avait perdu ses faveurs. Il fut, par exemple, le seul maréchal ayant prit part à toute la campagne de Russie à ne pas avoir été autorisé à retourner prendre un congé en France en 1813. Quand l’armée fut réorganisée pour la campagne du printemps de cette année là, Davout fut envoyé à Hambourg pour punir les citoyens allemands de s’être comportés en mauvais Français. Après la bataille de Leipzig, il fut laissé sans ordres alors que l’essentiel de l’armée retraitait derrière le Rhin. Encerclé et assiégé par l’armée alliée, il tînt Hambourg jusqu’à ce que Napoléon eût abdiqué, et laissa alors son commandement à un général mandaté par le nouveau gouvernement des Bourbons. A son retour en France, au début de l’été 1814, Davout ne fut pas bien accueilli par Louis XVIII et le pouvoir royaliste. Il se retira sur ses terres au sud de Paris avec interdiction de venir dans la capitale.
Lorsque Napoléon revînt de l’île d’Elbe en mars 1815, Davout, qui n’avait jamais fait allégeance à Louis XVIII, contrairement à la plupart de ses collègues maréchaux, offrit à nouveau ses services. C’était la première fois qu’il revoyait l’Empereur depuis que ce dernier avait quitté la Russie en 1812. Bien qu’il sollicita un commandement de terrain, Napoléon insista pour qu’il accepte un emploi de bureau, celui de ministre de la guerre. L’Empereur avait besoin d’un organisateur, strict en matière de discipline, susceptible, grâce à l’aura de son expérience militaire et de sa réputation, de susciter le respect et la loyauté de l’armée et de ne pas se laisser influencer par les civils. En dépit de leurs divergences dans le passé, Napoléon pensait que si il y avait un homme, dans toute la France, auquel pouvait être confiés Paris et son gouvernement quand il serait en campagne, c’était Louis Nicolas Davout.
Les relations entre l’Empereur et son ministre de la guerre étaient fondées sur le besoin et la nécessité. De nombreux anciens partisans de Napoléon, les maréchaux Berthier, Ney, Murat, Oudinot, pour n’en citer que quelques uns, soit ne proposèrent pas leur service, soit furent rejetés en raison de leur conduite antérieure. L’Empereur avait le besoin impératif de trouver un homme capable et loyal, et Davout était la personne qu’il fallait au régime impérial restauré. Cependant, il n’y avait plus cette affection qui s’était manifestée dans les premières années de l’Empire. Davout voyait toujours en Napoléon le sauveur de la révolution et le meilleur gouvernement possible pour la France. Mais, l’attachement personnel que ressentait Davout dans les années avant 1812 s’était amenuisé. Il continuait de lier les destins de Napoléon et de la France ; et, il considérait donc qu’il était de son devoir de servir, mais son principal souci était à présent le salut de la France.
Quand Napoléon revînt de Waterloo, Davout fut un des rares à préconiser la poursuite du combat. Mais, lorsque l’Empereur montra des signes d’hésitation, lorsqu ‘il refusa de dissoudre les chambres, Davout conseilla l’abdication. Comme commandant militaire de Paris et de l’armée, il facilita le déplacement de Napoléon à la Malmaison et finalement son transfert à Rochefort. Davout est resté loyal à Napoléon jusqu’à la seconde abdication. D’ailleurs, il empêcha Fouché et les anti-bonapartistes d’utiliser l’ex-empereur comme monnaie d’échange dans leurs négociations avec les alliés. La seconde abdication brisa le lien entre Napoléon et Davout. Leur relation s’acheva sans éclat, un peu comme elle avait commencé. Napoléon avait eu besoin de Davout et l’avait utilisé, sans ce que dernier ne devienne pour autant un ami ou un confident. Le maréchal fut reconnaissant à Napoléon de ce qu’il avait fait pour lui et pour la France.
John G. GALLAHER |